Les Français et la lecture : Un constat inquiétant, une transition numérique marquante

Analyse des habitudes de lecture des français – édition 2025 | Les chiffres sont implacables. La France, pays où la lecture a toujours occupé une place de choix dans les esprits et dans l’histoire culturelle, fait face à une réalité alarmante : les Français lisent de moins en moins.

Selon la 6e édition du baromètre bisannuel « Les Français et la lecture », réalisée par Ipsos pour le Centre National du Livre (CNL), les comportements des lecteurs français connaissent une évolution inquiétante. Cette tendance, marquée par un recul de la lecture au profit des écrans, pourrait bien redéfinir notre rapport au livre pour les années à venir.

Focus !

Un recul continu : 56 % des Français seulement se déclarent lecteurs réguliers

Pour la première fois depuis des années, le nombre de lecteurs réguliers en France tombe à 56 % — une baisse significative de 5 points par rapport à 2023.

Les chiffres ne laissent pas de place au doute : moins de Français se tournent vers les livres. Ce phénomène touche toutes les catégories, des hommes aux femmes, des CSP+ aux CSP-, bien que les seniors semblent quelque peu épargnés par cette tendance, enregistrant une légère hausse de 2 points.

La lecture en déclin : moins de livres, moins de temps

Le temps consacré à la lecture est l’un des indicateurs les plus révélateurs de ce recul.

En 2023, les Français lisaient en moyenne 22 livres par an. En 2025, cette moyenne est tombée à 18. Pire encore, la part des lecteurs quotidiens a chuté de 4 points, atteignant son plus bas niveau depuis dix ans, à seulement 45 %.

Plus alarmant encore, 39 % des lecteurs avouent lire de moins en moins, un chiffre record en hausse de 4 points par rapport à 2023, une tendance particulièrement marquée chez les plus de 35 ans.

Mais les chiffres ne s’arrêtent pas là. Le temps moyen que les Français consacrent à la lecture est désormais de 31 minutes par jour, soit 3h40 par semaine, en recul de 1h07 par rapport à l’année précédente.

Une chute brutale qui fait écho à la dispersion de l’attention, avec une majorité des lecteurs (27 %) avouant se laisser distraire pendant leur lecture, notamment par la messagerie instantanée (18 %). Les jeunes adultes, de 20 à 24 ans, semblent être les plus affectés par cette distraction numérique, avec 55 % d’entre eux qui déclarent être régulièrement déconcentrés par leurs smartphones.

La place des écrans : 3h21 par jour, contre seulement 31 minutes pour la lecture

Si l’on devait résumer cette tendance en un seul chiffre, ce serait celui-ci : 3h21 par jour. C’est le temps moyen que les Français consacrent à des activités liées aux écrans (Internet, séries, films et réseaux sociaux), soit plus de 23h par semaine. À l’opposé, la lecture se contente de 31 minutes par jour.

Ce déséquilibre est encore plus frappant chez les jeunes de moins de 25 ans, qui passent plus de 5h par jour devant leurs écrans, soit 35h16 par semaine. En comparaison, ils ne consacrent que 28 minutes par jour à la lecture, une baisse de 13 minutes par rapport à 2023. Les chiffres sont saisissants, et ils ne laissent aucune place à l’ambiguïté : l’engouement pour les écrans transforme radicalement le paysage des loisirs en France.

La lecture en famille : un facteur clé

L’un des facteurs les plus déterminants dans les habitudes de lecture des adultes est le rapport qu’ils ont eu à la lecture durant leur enfance.

Parmi les grands lecteurs, 66 % déclarent que la lecture était présente dans leur famille, contre seulement 37 % parmi les non-lecteurs. Ce facteur montre que l’intérêt pour la lecture se cultive tôt, dans un environnement où les livres occupent une place centrale.

Le rôle des genres littéraires : des changements notables

Le roman reste le genre littéraire le plus populaire, représentant 70 % des lectures. Cependant, les genres connaissent des évolutions notables. Les romans sentimentaux, notamment la dark et new romance, connaissent une progression fulgurante, en particulier auprès des jeunes (47 % des moins de 20 ans). La science-fiction et le policier continuent de séduire les 20-34 ans et les plus de 35 ans, respectivement.

À côté des romans, les livres pratiques (52 %) et les bandes dessinées (43 %) connaissent un intérêt constant, bien que la BD ait enregistré une légère baisse de 5 points cette année.

La montée du numérique et du livre audio

Dans cette ère numérique, le format papier semble avoir atteint son apogée. Il enregistre une baisse notable par rapport à 2023, avec une moyenne de 13 livres lus par an.

À l’inverse, les supports numériques connaissent une légère hausse, avec 28 % des 15-34 ans qui optent pour cette forme de lecture, et une montée en puissance du livre audio, qui progresse de 2 points par rapport à 2023. Un tiers des Français ont déjà expérimenté le livre audio, et la tendance est particulièrement marquée chez les 15-19 ans, avec 58 % d’entre eux qui l’ont testé.

L’évolution des points de vente : les grandes surfaces culturelles gagnent du terrain

Les Français délaissent peu à peu les librairies généralistes et les bibliothèques. Ces dernières ne sont fréquentées que par 23 % des Français pour emprunter des livres, un chiffre au plus bas depuis 10 ans.

À la place, ce sont les grandes surfaces culturelles comme la Fnac, Cultura et E.Leclerc qui attirent les foules, avec 75 % des sondés qui les fréquentent, un chiffre en hausse de 6 points par rapport à l’année précédente.

Internet et réseaux sociaux : de nouveaux prescripteurs

La prescription de livres a elle aussi évolué. Si les recommandations des proches (87 %) et la connaissance de l’auteur (84 %) restent des critères décisifs, Internet joue désormais un rôle majeur, influençant 55 % des lecteurs.

Ce phénomène est encore plus marqué chez les jeunes, avec 91 % d’entre eux qui déclarent être influencés par la présence en ligne d’un livre ou de son auteur. Les réseaux sociaux sont désormais un vecteur incontournable pour susciter l’envie de lire.

Un marché en recul : la chute des ventes en papier

Le marché du livre papier subit une érosion continue, conséquence directe du recul des lecteurs réguliers. En 2023, les ventes de livres en papier ont diminué de 1,7 % par rapport à 2022, et la tendance semble persister.

Si certains genres, comme les romans sentimentaux ou les ouvrages pratiques, continuent de séduire, l’impact du numérique est indéniable. Les éditeurs sont contraints de repenser leur offre, d’adapter leurs stratégies et d’explorer de nouveaux modèles économiques pour compenser cette perte de vitesse.

L’avenir du marché du livre semble se dessiner autour d’une offre hybride, combinant livre papier et numérique, livre audio et édition interactive. Les éditeurs, les libraires, et les plateformes doivent désormais s’adapter à cette nouvelle donne, tout en continuant à promouvoir la lecture comme une activité essentielle.

Le défi consiste à concilier l’amour de la lecture avec l’évolution des comportements des consommateurs, qui privilégient désormais la flexibilité et la rapidité des supports numériques.

Les éditeurs face à la pression : s’adapter à la demande numérique

Les éditeurs sont dans l’obligation de repenser leurs modèles de production pour rester compétitifs. La publication numérique, plus rapide et moins coûteuse, offre de nouvelles possibilités, mais elle oblige à s’adapter à des formats et des prix différents. La rentabilité des livres numériques reste encore incertaine, et les marges sont souvent plus faibles que pour les ouvrages imprimés.

Néanmoins, cette transition permet de toucher un public plus jeune, moins enclin à acheter des livres papier, mais plus à l’aise avec les supports numériques.

Le rôle des bibliothèques et des médiathèques : un soutien crucial

Malgré la baisse de la lecture, les bibliothèques et médiathèques restent des acteurs importants de la diffusion du livre. Elles enregistrent une fréquentation stable, avec près de 23 % des Français qui y empruntent des livres. Toutefois, ces structures doivent elles aussi évoluer, notamment en proposant des livres numériques à leurs abonnés.

Les médiathèques jouent un rôle clé dans l’accessibilité de la lecture, mais elles se trouvent face à des défis liés à la modernisation de leurs offres et à l’adaptation à un public de plus en plus habitué aux formats digitalisés.

La réponse des auteurs : se réinventer dans un monde numérique

Les auteurs, eux aussi, sont confrontés à ces changements. Nombreux sont ceux qui se tournent vers l’auto-édition ou la publication en ligne pour contourner les circuits traditionnels de l’édition. Le marché du livre est désormais plus fragmenté, avec des canaux de diffusion variés.

Les réseaux sociaux et les blogs deviennent des tremplins essentiels pour se faire connaître. Cependant, la lutte pour capter l’attention des lecteurs s’intensifie, avec la prolifération de contenus numériques gratuits ou peu coûteux, ce qui nuit à la valorisation du travail de l’écrivain.

La lecture face à une transformation inéluctable ?

Les résultats de cette étude sont clairs : la lecture est aujourd’hui menacée, non pas par l’indifférence des Français, mais par la domination des écrans et les distractions numériques. Le rapport de Régine Hatchondo, présidente du CNL, sonne l’alarme : « Face à cette omniprésence des écrans, la lecture est menacée ».

La France, qui a fait de la lecture une grande cause nationale, doit désormais repenser ses stratégies pour préserver ce trésor culturel et encourager les nouvelles générations à renouer avec le livre.